Avant-proposPréfaceIntroductionIllustrations

  n°25: À la recherche de la Polynésie d'autrefois
  W. Ellis. Traduit par M. Serguiev et C. de Buyer. Paris, 1972, Prix: 200 F; 30,49
           Le missionnaire William Ellis publiait en 1829 deux gros volumes de souvenirs: les Polynesian Researches, livre maintes fois réédité en anglais parce qu'il est considéré comme un "classique" des Mers du Sud. Voici la première traduction française de cette œuvre unique. Ellis vécut 8 ans parmi les gens de Tahiti et de Moorea, Participant à leur vie quotidienne, notant ce qu'il voyait et entendait, essayant d'aller au fond des choses. Son livre est d'une grande richesse documentaire sur l'état de la société tahitienne et aux îles Sous-le-Vent dans la première moitié du XIXe siècle.

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AVANT-PROPOS (retour)

PORTRAIT DE WILLIAM ELLIS

L'auteur des Polynesian Researches n'était ni un savant ni un spécialiste des sciences humaines. De son vivant, il fut probablement plus connu par l'œuvre qu'il accomplit à Madagascar où il réinstalla la London Missionary Society et rétablit l'influence anglaise que par l'apostolat qu'il avait antérieurement exercé dans les îles des mers du Sud. Et les huit années qu'il passa dans les archipels de la Société et à Hawaii nous paraissent un laps de temps relativement court pour réunir les éléments d'une œuvre qui deviendra un travail classique et une source unique de documentation pour l'histoire et l'ethnologie du Pacifique. Comment parvint?il à écrire une œuvre de cet ordre et quelle en est aujourd'hui la valeur ? Né à Londres, en 1794, Ellis ne reçut qu'une instruction fort sommaire. Très jeune, il travaille comme jardinier chez des maraîchers, glanant ça et là quelques connaissances dans les bibliothèques de ses divers employeurs. Il n'était pas spécialement pieux et il ne fut reçu membre d'une communauté protestante non?conformiste qu'à vingt ans passés. Alors, à l'occasion, il enseigna dans une école locale du dimanche. La décision qu'il prit de devenir missionnaire semblerait dater de 1814, année au cours de laquelle il entend prêcher le révérant J. Campbell, récemment de retour d'Afrique du Sud. Sa lettre de candidature à la London Missionary Society mérite d'être citée en entier. Newington Green, 3 novembre 1814, Honoré et Révéré Monsieur, Il y a maintenant douze mois que j'ai senti naître en moi le désir de me consacrer au service du Seigneur comme missionnaire chez les païens. Craignant d'être mal qualifié pour ce travail et me jugeant trop inexpérimenté pour affronter les épreuves qui m'attendent, je ne voulais vous faire part que plus tard de mes aspirations. Quand je me suis ouvert de mes projets au révérant Burder d'Hackney dont j'ai particulièrement apprécié la parole, lors de ses prédications à Kingsland Chappel, il m'a conseillé d'entrer en relation avec quelques chrétiens de Kingsland susceptibles de juger de mes aptitudes pour un travail missionnaire. Ainsi je me joignis à la congrégation de l'Église de Mr. Campbell et fus reçu en tant que membre le 1er février dernier. Lors d'un récent entretien avec Mr. Burder, il me conseilla de consulter à ce sujet Mr. Campbell qui, dans sa bonté, me fournit la quasi totalité des informations que j'étais à même d'attendre. Il m'a aimablement prodigué tous les encouragements nécessaires et m'a conseillé de vous écrire quand ma décision serait prise, en vous relatant ma conversion, les motifs qui justifiaient ma décision, les buts que je poursuivais, les difficultés qui surgissent et les encouragements qui soutiennent mon esprit. Ayant mis par écrit toutes ces choses, il se chargerait de vous les transmettre. Selon les conseils de mon pasteur bien?aimé et profondément conscient de mon incapacité, ce n'est pas sans hésitation que je vous soumets la lecture des lignes suivantes. Je n'ai guère été préoccupé par mon âme jusqu'à la fin de ma dix?huitième année : alors la main miséricordieuse de la providence m'a placé sous le toit hospitalier où je réside actuellement. J'ai bientôt commencé à penser sérieusement aux choses de la religion. A cette époque, je me rendis un vendredi soir à Kingsland Chappel et y écoutai une conférence donnée à des jeunes gens: c'était le révérant J. Clayton, Senr. qui prêchait sur le psaume 71, versets 17 et 18 : " Ô Dieu tu m'as enseigné depuis ma jeunesse ". Et, en même temps que j'entendais le ministre du culte, le Seigneur parlait à mon cœur. Je fus très impressionné par la folie et l'ingratitude de tous ceux qui vouent le meilleur de leur âge au service du monde et du diable et qui n'accordent à Dieu que la lie de la vieillesse. Cette impression, je pense que le temps ne pourra jamais l'effacer. A partir de ce moment là, j'eus la certitude que j'étais désigné pour " préparer les voies au Seigneur ". je me souviendrai toujours de mon premier essai de prière. M'étant retiré pour me recueillir, je m'assis pour contempler la bonté de Dieu envers l'indigne créature que je me trouvais être. Alors une force secrète me contraignit à plier les genoux, plein de reconnaissance envers ce Dieu dont je ne méritais pas les bontés. je me vis sous les traits d'un pécheur coupable et cherchai avec ardeur à me mettre entre les mains du Sauveur qui m'apparaissait comme l'être le plus précieux et je pensais que si je pouvais seulement croire qu'il était mort pour moi et réaliser ce qu'il avait fait pour les pécheurs, je ne me soucierai plus de rien d'autre. L'incroyance avait été mon plus grand ennemi et mon esprit en fut longtemps déprimé par crainte de ne pas aller jusqu'au bout; Satan me disait que mes convictions ressemblaient à la semence jetée sur un terrain pierreux. Elle se dessécherait au moment de la tentation. je remercie Dieu de m'avoir enlevé ces doutes et de m'avoir donné la conviction intime que mes péchés me sont pardonnés et qu'il agrée le don de ma personne. Son nom en soit béni pour les siècles des siècles! Qu'il en soit glorifié à jamais. Et je n'ai pas vraiment éprouvé les joies de la religion, avant de sentir en moi le désir de la faire partager aux autres. Et je me demandais pourquoi les hommes étaient si indifférents au salut de leur âme. Je perçus un désir pressant de devenir missionnaire après avoir entendu un sermon prêché à Kingsland Chappel; il avait pour thème la valeur de l'âme; le texte était tiré de Matthieu, chapitre XVI, verset 26, " A quoi sert à l'homme de conquérir le monde entier s'il vient à perdre son âme ". je pensais alors que si le Seigneur m'appelait à travailler pour Lui, même si je devais passer ma vie entière à être l'instrument de conversion d'une seule âme, mes efforts seraient largement payés. Le désir de diminuer la somme de misère actuelle, d'enseigner aux païens la voie du salut à travers le Sauveur crucifié, de leur apprendre à être plus heureux sur cette terre et de les convaincre qu'ils découvriront le bonheur éternel dans l'au?delà, tout cela augmentait considérablement mon désir de me faire missionnaire. Je peux, en toute conscience, affirmer que ma vocation missionnaire n'était en rien influencée par le désir de me libérer de toutes les tâches fastidieuses ou désagréables de ma situation présente; je suis parfaitement satisfait de mon sort actuel et serai peu disposé à l'abandonner pour autre chose car j'aime jouir de tous les agréments temporels et suis satisfait de mes employeurs et j'ai toutes les raisons de croire qu'il en va de même pour eux. Malgré que je connaisse les défaillances de mon propre cœur, il obéit à ce qui me paraît être un devoir commandé par le Sauveur quand il dit : " Allez dans le monde enseigner l'Évangile à tous les peuples ". L'amour du Christ et celui de mes frères, les païens, et le désir de me rendre utile aujourd'hui et pour les générations à venir font que je ne sais pas comment mieux servir qu'en ajoutant mes faibles efforts pour répandre la lumière du Christianisme sur ces terres plongées dans les ténèbres et encore en proie aux plus grandes cruautés, là où la nuit recouvre la terre et, avec elle, tous ses habitants. Aucun motif temporel ne me pousse mais seulement la confiance et l'espérance de connaître la gloire de Dieu et le désir d'étendre son royaume; et l'amour envers ces âmes précieuses mais perdues, me pousse à abandonner tous les agréments que je possède pour prendre ma croix et aller là où la providence me conduira. je me crois capable de juger que ce sont ces motifs qui m'incitent à me présenter comme candidat, encore que je sache toujours mon coeur capable de me trahir et que je craigne parfois d'être poussé par des motifs inconscients. On m'a montré les nombreuses difficultés au devant desquelles je vais. Mes amis ne se sont pas fait faute de me les présenter avec force détails. Parfois je suis prêt à renoncer et à abandonner mon dessein. Mais je trouve alors dans les Écritures de telles promesses que mon coeur connaît à nouveau force et courage. je me sens capable de dire avec Paul: " je puis tout, en Celui qui me fortifie. " je me repose sur les promesses de l'Évangile et crois que ceux qui ont confiance dans le Seigneur ne tomberont jamais. Et Dieu gardera l'homme qui a confiance en Lui dans la paix parfaite. J'ai bien peu à offrir à la Société et ne pensais pas avoir les dons suffisants pour exécuter le travail d'un missionnaire jusqu'à ce qu'un jour un article de l'Evangelical Magazine me tombât sous les yeux. Il était intitulé: des qualités requises pour les missionnaires. Cet article m'a apporté bien des encouragements et l'espoir que mes plus que modestes qualités pourraient être acceptées. J'ai reçu bien peu d'instruction; la plupart de mes connaissances, je les ai acquises par la pratique; j'ai quitté, très jeune, ma famille pour aller travailler comme jardinier, métier que je connais bien et qui est mon occupation présente. Je me suis efforcé de vous donner une idée, bien qu'imparfaite, des motifs, de ma vocation. A vous de décider, si vous me croyez capable d'entreprendre cette tâche ardue! Dans l'espoir que vous voudrez bien excuser les nombreuses fautes de cette lettre ? j'ignore tout des règles de l'art d'écrire ? je reste votre humble et obéissant serviteur. W. ELLIS. A la fin de novembre 1814, Ellis fut convoqué pour un entretien. Les rapports du Comité désigné ne font mention que de ces "conversations". Il fut recommandé aux Directeurs de la Société pour effectuer un stage probatoire de trois mois. Près d'une année s'écoula avant qu'on soit sûr d'envoyer Ellis à l'étranger. Au cours de 1815, le candidat subit une rapide préparation afin de le munir d'une instruction religieuse plus approfondie. Il lut confié aux mains du Dr Bogue, un pasteur de Gosport, qui était chargé de la formation de beaucoup de missionnaires partant pour les mers du Sud. Ellis trouva aussi le temps d'assimiler des notions d'imprimerie et de reliure et quelques rudiments de médecine; il prit également des leçons de dessin. Le 6 novembre 1816, il fut solennellement ordonné missionnaire pour la Société. Trois jours plus tard, il épousait Mary Mercy Moor, une institutrice pieuse mais de faible santé. Au début de 1816, ils firent voile pour les mers du Sud. Les détails de la première installation d'Ellis à Moorea et dans les îles Sous?le-Vent sont relatés dans les Researches. Il est clair que dès son arrivée, en juin 1817, il continua à acquérir des nouvelles connaissances et commença à montrer une habileté linguistique et un don pour l'administration qui seront à la base de sa future carrière. Les îles de la Société devinrent comme son université. Le travail de pionnier dans l'organisation de l'enseignement et des institutions religieuses de la London Missionary Society dans l'archipel commençait tout juste à donner quelques résultats. La conversion de Pomaré au christianisme et sa victoire militaire en 1815 avaient mis fin à une longue période d'état de guerre civile et religieuse. Les marae étaient en voie de disparition, les gens avaient brûlé leurs idoles; les premiers tracts imprimés étaient en préparation et les premiers convertis, y compris la noblesse, allaient se montrer les plus ardents soutiens des missionnaires européens. La contribution d'Ellis à la consolidation de la mission à cette époque, repose principalement sur l'installation de la presse à imprimer à Papetoai dans l'île de Moorea; c'est là que furent imprimés les premiers abécédaires, dont aucun exemplaire ne subsiste. Ils furent suivis par un catéchisme tahitien, des extraits des Écritures et d'une traduction de l'Évangile de saint Luc par Mr. le missionnaire Nott. Dans toute cette œuvre, Ellis lut plus un ouvrier qu'un traducteur. Mais en contact à la lois avec le meilleur linguiste missionnaire et Pomaré, excellent étudiant, Ellis, typographe, avait en mains tous les atouts pour un rapide apprentissage. Il ressort également de la correspondance personnelle d'Ellis qu'il apprenait encore bien d'autres choses. Il s'intéressait aux récits des rapports missionnaires, aux détails des prix du marché océanien, des vivres importés ou exportés de la Nouvelle-Galles du Sud . Il participa à la construction du premier bateau missionnaire dans les îles, le Haweis, mis à l'eau à la fin de l'année 1817. Aidé de Nott, Davies et Crook, il fonda la première Société locale missionnaire, sorte d'assemblée religieuse qui recueillit les souscriptions demandées en mai 1818. L'argent fourni par la vente de produits exportés lut envoyé à la London Missionary Society à Londres. Le mois suivant, les missionnaires se séparèrent, les uns allant à Tahiti, les autres dans l'archipel des îles Sous?le?Vent. Ellis partit avec Davies, Williams et Orsmond à bord du Haweis pour fonder une nouvelle église à Fare, dans l'île de Huahine: par suite d'une nouvelle division des efforts, Huahine demeura sous la conduite d'Ellis et de Barff et cette indépendance vis?à?vis de l'autorité politique et religieuse du gouvernement de Pomaré encouragea grandement la liberté d'action qui convenait aux jeunes missionnaires. Ellis prononça son premier sermon en tahitien en novembre 1818. Une société religieuse locale, sous le patronage des chefs de Huahine fui constituée et commença à recueillir les dons annuels de cochons, huile de noix de coco et arrow?root qui furent vendus en mai 1818. Dès 1821, les principaux chefs et diacres de l'Église de Huahine : Taua, Auna, Pohuetea, Matatore furent capables de correspondre avec la London Missionary Society de la part de la Société auxiliaire de Huahine et expédia une cargaison de 200 gallons d'huile de noix de coco. Dans une lettre privée, Ellis demandait qu'on leur envoie des couvertures et du vin de communion pour les remercier de leur générosité. Les membres de la Société étaient au nombre de 1258 personnes, c'est?à?dire presque toute la population de l'île. On avait baptisé 1000 adultes, et 300 membres de l'église savaient déjà lire et écrire. Ellis avait lui?même beaucoup appris auprès de nouveaux fidèles. Il composa pour eux des hymnes et les fit imprimer dans leur langue. Il mettait en pratique ses dons de dessinateur et, en 1819, il exécuta un portrait de Pomaré au cours d'une courte visite à Tahiti. " Mes Collègues ont envoyé aux Directeurs un dessin de Pomaré, que j'ai fait à Tahiti, il y a quelques semaines, pour l'utilité de la mission. Il est assez rudimentaire et je ne suis pas fier de son exécution, mais il est fort ressemblant. Et mes collègues pensaient que cela serait un geste de gratitude envers les Directeurs que de le leur faire parvenir. " Il ramassait des curios. En 1821, il fil parvenir plusieurs tiki au Musée de la Société Missionnaire de Londres; et il informait les Directeurs qu'il était en train d'essayer d'obtenir en contrepartie d'une couverture " un siège de pierre ou le trône du dieu Oro, actuellement en possession de Taaroarii, le jeune roi de notre île ". Mais sa principale contribution concerne l'église et l'administration des îles. Huahine, comme Raiatea et Bora?Bora, avait gardé son indépendance envers le royaume de Pomaré à Tahiti ; et plus particulièrement se refusait à accepter l'idée d'un monopole royal en ce qui concernait les envois de produits des îles vers la Nouvelle?Galles du Sud. Des codes furent rédigés pour chaque île du groupe. Le premier code, destiné à Raiatea, Tahaa, Bora?Bora et Maupiti, fut imprimé par Ellis à Huahine en 1820, sur le modèle du code Pomaré de 1819. Un troisième code, destiné à Huahine, lut composé par Ellis qui l'imprima en 1823. Il le décrit en détail dans son livre. Si bien que lorsque la " Députation " des deux visiteurs des missions, Tyerman et Bennet, arrivèrent à Huahine en 1821, ils constatèrent qu'Ellis et Barff avaient contribué à mettre sur pieds une communauté religieuse indépendante, fondée sur des structures locales. La population avait été relogée à Fare. Une chapelle construite en chaux avec une charpente de bois pouvait, lors des cérémonies religieuses contenir près de 1200 personnes " habillées à la mode anglaise de la tête aux pieds ". Les chefs et les diacres appartenaient tous à des familles dirigeantes qui cumulaient ainsi les pouvoirs civils et l'autorité religieuse. En 1822, les choses en étaient là. Après que la " Députation " eut passé dans l'île six ou sept semaines, une occasion se présenta d'une visite aux îles Hawaii. Le Mermaid, un cutter de la marine royale anglaise, que commandait le capitaine Kent, offrit un passage de retour aux députés. Ellis et Barff songèrent à en profiter pour convoyer quelques diacres de Huahine aux îles Marquises, mais le bateau toucha d'abord Hawaii. Et là, on n'eut pas de peine à convaincre Ellis et ses neuf compagnons indigènes qu'il y avait aux Hawaii un travail plus utile à accomplir que de s'en aller fonder une nouvelle mission aux Marquises. Les missionnaires américains installés à Oahu accueillirent avec joie l'arrivée inattendue d'Ellis et de renforts polynésiens, aucun d'entre eux n'avait encore commencé à prêcher dans la langue d'Hawaii. Cependant, le roi Rihoriho [Kamehameha II ] poursuivait la grande révolution religieuse amorcée par son père. Il faisait détruire de nombreuses idoles et démolissait les lieux de culte païens de l'île, comme l'avait fait Pomaré à Tahiti. Les nouveaux venus n'arrivaient pas les mains vides. Ellis, homme capable et plein d'expérience pouvait faire profiter de ses connaissances ses confrères américains. Les diacres de Huahine, de leur côté, faisaient preuve d'un exemplaire courage entraînant. Ils furent, du reste, presque immédiatement adoptés par le grand chef de Kauai et Kaahamanu, son épouse, la veuve de Kamehameha. Les Américains se joignirent aux notables hawaiiens pour conjurer Ellis d'aller chercher sa famille à Huahine et de s'établir chez eux dans l'archipel. Ce qui impressionna le plus les missionnaires américains fut d'entendre Ellis prêcher dans la langue locale. Dès juillet 1822, il pouvait écrire aux Directeurs qu'il avait adressé la parole à son petit noyau d'immigrants tahitiens "deux lois par semaines, depuis notre arrivée, beaucoup d'indigènes des îles y assistent et généralement comprennent l'ensemble de mes propos. Je progresse chaque jour dans leur langue et ma connaissance du Tahitien m'est d'un grand secours et facilite mes progrès". Tyerman et Bennet expliquèrent la situation à l'American Board of Missions, lui suggérant avec beaucoup de doigté qu'une action commune serait utile à Hawaii pour lutter contre la mauvaise influence des autres Européens, marchands ou colons. Finalement, le projet marquisien fut laissé de côté. L'American Board, en fait, semble avoir été plutôt satisfait et avoir vu d'un bon œil le concours qu'un missionnaire expérimenté de Tahiti apportait à son œuvre de pionniers. De leur côté, sur place, les missionnaires américains, paraissent eux aussi très heureux. Hiram Bingham écrivait : "Mr. Ellis est un homme de bonne trempe et je suis heureux de collaborer avec lui." De toute évidence, Ellis, grâce à son expérience et à son tact avait su se faire accepter. De toute évidence, aussi, Auna, ses diacres et les membres de l'église de Huahine apportaient les éléments voulus pour la rapide conversion du groupe. Comme en témoigne le journal d'Auna dont Ellis a conservé quelques extraits qu'il a traduit pour les Directeurs: "Kaahamanu ayant demandé à ses gens l'idole de Tamehameha, Taraipahoa, on la lui a apportée aujourd'hui, ainsi que neuf autres statues plus petites. Elles ont été publiquement brûlées. Notre hôte s'est grandement réjoui en les voyant livrées aux flammes. Tapo était un autre nom donné à la grande idole de Tamehameha. Kaahumanu nous a remis huit pièces de tapa." "Mercredi 26 juin 1822. - De bonne heure, ce matin, les hommes de Kuakini qui avaient été chercher les dieux sont de retour. Le chef a alors donné l'ordre à son peuple de faire une grande fête et, mettant lui-même la main à l'œuvre, il a aidé son peuple et a mis le feu à 102 idoles. Le spectacle me rappela celui auquel j'avais assisté à Tahiti et à Moorea quand on y avait brûlé les faux dieux. Et en particulier à la destruction organisée par Paitu à Papetiai [sic] - et dans mon coeur, je louais Jéhovah, le vrai Dieu, car je voyais de mes propres yeux, ces gens suivre notre exemple. je m'entretins longuement avec Taumorii et Koakumanu au sujet de cette destruction par le feu des idoles de Tahiti. ". En 1822, Ellis, Tyerman et Bennett regagnèrent Huahine à bord du Mermaid. Ellis fit un rapport aux Directeurs, concernant sa visite à Hawaii, exaltant le remarquable travail d'Auna, et la nécessité de mener à bien la conversion de la famille royale. Vers la fin de cette même année, 2 500 exemplaires du premier abécédaire hawaiien, préparé par Ellis, fut imprimé à Oahu. En février 1823, Ellis accompagné de sa famille repartait pour Hawaii. Les dernières années passées par Ellis dans le Pacifique comptent parmi les plus remplies de son existence de missionnaire. Il affermit l'œuvre missionnaire entreprise à Huahine et chez les pasteurs américains d'Hawaii. Et il laisse son empreinte dans la fixation de l'écriture de la langue hawaiienne. Il voyagea, prit des notes sur tout ce qu'il voyait et commença de rédiger ce qui allait devenir un des classiques de la littérature polynésienne. Enfin, grâce à ses contacts avec les notabilités de la noblesse hawaiienne, Ellis eut parfois l'occasion de servir d'intermédiaire, à la manière d'un diplomate, entre la maison royale d'Hawaii et le gouvernement anglais. Ellis fut reconnu comme un collaborateur par l'église protestante locale. Il assistait à la réunion, qui organisa le gouvernement de l'Église hawaiienne. Il était là aussi, le 3 novembre 1823, lors de l'assemblée où lui votée l'ouverture de nouvelles stations à Hawaii. Avec Bingham, il forma une équipe pour explorer la principale île du groupe; et à la suite de son expédition, il en publia un compte rendu géographique et ethnologique. jusqu'à son départ, il prêcha fort souvent en hawaiien et dirigea des réunions de teachers hawaiiens où l'on étudiait les thèmes de ses prédications. Par dessus tout, il fut mêlé à toutes les affaires de l'entourage du roi à Oahu. "Depuis que nous sommes arrivés ici, mon temps a été presque entièrement occupé par les affaires de la mission, à ce point que je n'ai même pas pu sortir mes bagages du bateau. Les réunions normales dans les lieux de culte et dans les villages, les réunions auprès du roi qui m'attend chaque jour à son bureau, veut me voir à ses côtés lorsqu'il converse avec les chefs, en allant de maison en maison, qui m'utilise comme interprète lors de ses conversations d'affaires avec les capitaines des navires ancrés dans le port, tout cela me tient hors de chez moi, de l'aube jusque tard dans la soirée. "Les tâches nombreuses et variées qui m'occupent chaque jour augmentent rapidement et sont de plus en plus absorbantes, à ce point qu'elles m'imposent de regarder constamment vers Dieu, car seul il peut me donner grâce et force pour accomplir l'œuvre qu'il attend de moi. Le climat est d'ailleurs plus favorable à nos santé que celui des îles de la Société: personnellement, je me porte mieux que lors de ma première visite, encore que Mrs. Ellis ait connu de gros ennuis de santé depuis son arrivée. L'air est frais et vif; nous trouvons même qu'il fait froid. Nous vivons dans les environs d'un village très peuplé. Il compte au moins 5 ou 6 000 indigènes, sans compter les étrangers en nombre considérable. Il y a environ seize marchands, y compris le consul américain, en résidence permanente et qui sert d'intermédiaire pour toutes les affaires entre les indigènes et les navires qui font escale en grand nombre. Honolulu, grâce à son port qui est le meilleur de l'archipel, est une place commerciale très importante. Nous y avons vu arriver seize grands bateaux durant le peu de temps que nous y avons séjourné: pour la plupart des baleiniers" Comparé à Huahine, Honolulu est une capitale. Ellis complète le premier alphabet. Comme il comprenait la langue d'Hawaii et l'entendait parler, il essaya d'en déterminer l'orthographe par le système qu'il ,avait déjà utilisé pour le tahitien : "Les insulaires des îles Sandwich se servent du K à la place du T et du H au lieu du F; dans beaucoup d'endroits, ils remplacent aussi le L par le R. L'emploi et la construction des mots est, en bien des cas, très différents. Mais la langue tahitienne est dans l'ensemble comprise par la plupart des indigènes des îles Sandwich ..." La méthode d'Ellis pour épeler fut adoptée pour les toutes premières publications; pour les noms de lieux et les noms propres, il l'employa dans son livre le journal of the Tour of Hawaii. Après son départ, cette méthode donna lieu à des discussions parmi les missionnaires américains qui finirent par conclure en 1825 que: "Tous les lieux importants [à Hawaii] et beaucoup d'expressions intéressantes des indigènes dans leur propre langue [seront] toujours écrits selon la manière d'épeler de Mr. Ellis." Près de la moitié des hymnes chantés par les Hawaiiens étaient épelés de cette manière et il a été reproché à Ellis d'avoir abandonné l'emploi des lettres doubles pour la langue hawaiienne, comme il l'avait fait pour le Tahitien, ce qui a provoqué des confusions. En 1830, avec les traductions sortant des presses américaines locales, le comité missionnaire chargé de décider de l'orthographe, ratifia l'alphabet de 1822 bien qu'il ne leur permette pas de faire un choix entre les consonnes doubles et qu'il exclue le k ou t, l ou r, v ou w. La contribution d'Ellis à la littérature d'Hawaii est infiniment plus importante que cet alphabet, sujet à caution. Dans ses lettres, il révèle un don d'observation inaccoutumé dont il fait profiter ses récits sur ses randonnées à travers l'archipel. Sa curiosité envers les gens d'Hawaii et leur passé est encore aiguisée par ses contacts avec la maison royale. Il gagne la confiance d'un grand nombre de notables et surtout celle de la Reine, mère de Kamehameha, Keopuolani. Elle reçut le baptême, peu avant sa mort, des mains d'Ellis qui empêcha qu'on lui fît les funérailles .traditionnelles d'Hawaii, dues aux personnalités de haut rang et les remplaça par un enterrement chrétien. Ellis collectionna les traits marquants de sa vie en se les faisant raconter. Il en fit un recueil qui constitue la première biographie ethnographique d'une Hawaiienne. Son journal of a Tour around Hawaii est mieux connu. Il est le fruit d'une tournée à travers le pays en 1832, faite par Ellis, de concert avec Thurston, Goodrich, Bishop et Bingham. Bingham et Ellis en furent les rédacteurs littéraires, comme l'explique Bingham " Le récit d'un voyage autour de l'île d'Hawaii, le rapport fait par le groupe de missionnaires?explorateurs, une vingtaine des intéressants dessins qui comprennent le grand cratère d'un volcan en pleine éruption, un appendice concernant la mythologie, l'histoire, les mœurs et coutumes de ce peuple, tout cela fournira la matière d'un volume qui sera probablement publié conjointement en Amérique et en Angleterre. Si ce travail reçoit l'approbation de nos Directeurs, tous les documents et notes concernant celle exploration se verraient confier à Mr. Ellis et à moi?même par un vote du comité en vue de la publication d'un ouvrage. " Le frère Stewart s'occupe actuellement de recopier les dessins faits par Ellis, de telle sorte que l'édition américaine puisse présenter les mêmes illustrations que l'édition anglaise. " Ellis refit un bref séjour, en janvier 1824, à Hawaii pour faire d'autres dessins du cratère de Kirauea et installer un nouveau poste missionnaire. A son retour à Honolulu il mit au point les brouillons des chapitres du livre qui furent ensuite relus par Bingham. Le manuscrit original lut apporté par Ellis lui?même à Boston et à New York, lors de son départ en 1824, ainsi que son journal et ses dessins. Le court passage d'Ellis dans la mission hawaiienne peut être aussi considéré sous le point de vue de son action diplomatique. Comme beaucoup d'autres missionnaires, Ellis se trouva " adopté " par la famille royale, autant comme conseiller que comme ami. Honolulu ne possédant pas de consul anglais, Ellis servit d'intermédiaire entre les indigènes et les commerçants ou marins du port. Il fut très lié avec Kamehameha II : il lui arrivait de passer des journées entières dans le bureau du roi [quand ce dernier n'était pas trop ivre pour s'occuper des affaires officielles]. En outre, selon l'opinion d'Ellis, le roi se considérait sous la protection de l'Angleterre. Ellis recueillit également des données sur les conditions du commerce à Oahu et remarqua les efforts des chefs pour régulariser les prix. En novembre 1823, le bouillant Kamehameha ne cachait pas son désir d'aller visiter l'Angleterre, projet qu'il avait à maintes reprises envisagé avec Ellis. Ellis et Bingham le trouvèrent un jour, à Lahaina, en réunion avec ses chefs et discutant de cette importante décision. Le capitaine Starbuck, commandant l'Aigle, offrait un passage gratuit au roi et à sa suite mais se refusait d'emmener Ellis et sa famille. Le roi ainsi que Karaimoku était si désireux de faire le voyage en compagnie d'Ellis qu'il proposa de régler la traversée du missionnaire. Ellis, cependant, avait quelques doutes sur l'opportunité de ce voyage royal; cela ne l'empêcha pas d'écrire aux Directeurs de la Société Missionnaire de Londres pour qu'ils accueillent le roi ... Deux jours plus tard, le 27 novembre 1823, Kamehameha II et son épouse s'embarquaient. Le roi devait mourir peu après son arrivée en Angleterre. Il fallut attendre septembre 1824, et l'état de santé alarmant de Mrs. Ellis pour que le ménage se voit offrir un passage gratuit pour les États?Unis. Ellis atteignit l'Angleterre en août 1825, tout à fait décidé à revenir dans les mers du Sud., Ce projet ne se réalisa pas. La Société demanda à Ellis de circuler en Angleterre, en Irlande et en Écosse pour y prêcher en faveur de l'œuvre missionnaire et s'y occuper à la manière de ce que nous nommerions aujourd'hui un chargé des relations publiques. Cependant, il restait en étroit contact avec les missionnaires des mers du Sud et préparait l'édition anglaise de son Narrative of Tour qui paraîtra en 1827. Il dirigea une campagne de presse dans le Quarterly Review pour réfuter les calomnies menées sur les missionnaires de Hawaii par Lord Byron, le commandant de la Blonde qui avait reconduit les dépouilles royales à Honolulu: il recueille les matériaux nécessaires à une réfutation de Byron et de Kotzebue que publiera le secrétaire de la London Missionary Society. Ellis écrit aussi Mahine, un poème épique sur la réception du christianisme par les populations à Tahiti, œuvre romantique et sans grande valeur littéraire. Et il commence la rédaction de ses Polynesian Researches. En 1830, il devint évident qu'Ellis ne retournerait jamais dans le Pacifique. Le mauvais état de santé de Mrs. Ellis l'en empêchait. En 1831, les Directeurs de la Société lui demandèrent d'occuper le poste de William Orme, au secrétariat pour les relations étrangères. Et il se trouva dans la position exceptionnelle d'avoir l'entière responsabilité de tout le champ d'action de la London Missionary Society, de l'Afrique du Sud à Tahiti, en passant par Madagascar, les Indes et l'Indonésie. Cette situation élevée lui permit de régler la question des responsabilités respectives de la Société et de la mission américaines aux îles Marquises. Il surveillait de près les " incursions " des missions catholiques dans les zones protestantes du Pacifique; encore qu'il ait été contre l'emploi de la force pour empêcher les prêtres catholiques de s'installer à Hawaii en 1831. Trente ans plus tard, l'American Board of Foreign Missions le consultait encore au sujet du projet de l'établissement d'un évêché anglican à Hawaii, projet contré vigoureusement par Ellis. Comme la plupart de ses contemporains, il était persuadé que Tahiti finirait par venir se ranger sous l'influence britannique " sous forme d'état dépendant de la couronne ", administré par la Nouvelle?Galles du Sud. Et il ressentit profondément les menées des Français pour l'installation d'un protectorat à Tahiti en 1842. Peu à peu, cependant, il apparut qu'Ellis s'intéressait surtout à l'administration générale de la Société Missionnaire de Londres et à son histoire. Peut?être Madagascar l'emportait?il encore dans ses préoccupations ? Après la mort de sa femme en 183.5, il s'absorba dans ses fonctions administratives comme dérivatif de sa peine. En 1837, il épousera Sarah Stickney, jeune écrivain Quaker. L'année suivante le trouve surmené et atteint de dépression nerveuse, d'abord à Pau, dans le sud?ouest de la France puis dans une cure de campagne à Hoddesdon. C'est là qu'il préparera le premier volume de son History of the London Missionary Society qui sera publié en 1844 ? c'est là aussi qu'il écrira de nombreux articles sur la Polynésie et Madagascar pour l'Encyclopédie Britannique. Au cours de la dernière partie de sa vie, Ellis accomplira plusieurs séjours à Madagascar qu'il importe de signaler. Ses dons d'historien, ses qualités d'observateur en font un témoin de valeur dans le conflit avec la France et lui permettent d'y jouer un rôle important. Il réinstalle sa mission et fait renouer entre l'Angleterre et Madagascar des relations diplomatiques qui seront ratifiées par les traités de 1863 et 1865 1. Il rentra en Angleterre grandi par son action et fut nommé Fellow de la Royal Geographical Society. Il conserva jusqu'à sa mort, en 1872, sa fonction de membre du Bureau des Directeurs de la Société missionnaire de Londres. Les Polynesian Researches. Ellis se servit de ses journaux personnels et des nombreuses notes recueillies par lui pour ses diverses publications. Peu de ces documents ont été conservés. Il eut également accès aux lettres privées et aux journaux des missionnaires qui étaient dans les îles au cours des années vingt du siècle dernier. Il entretint une fréquente correspondance avec ses confrères Barff, Williams et Davies. Les œuvres des premiers navigateurs lui étaient familières, encore qu'il ne les cite jamais textuellement. Comme la plupart des missionnaires, il utilise toutes les observations qu'il peut recueillir, les considérant comme son bien propre et s'en sert à des fins didactiques, sans trop les mentionner. Ellis exprime dans la préface de son livre ses intentions d'auteur. Certain de la victoire du christianisme et du triomphe de la civilisation du XIXe siècle sur la sauvagerie régnant dans les coins les plus retirés du monde, Ellis songe à recueillir les us et les coutumes des Polynésiens comme il s'intéresse à réunir les témoignages de leur culture matérielle ou à collectionner des coquillages et des papillons, illustrations de l'histoire naturelle des îles. Mais comme beaucoup de ses contemporains, il admire profondément, bien plus qu'il ne veut le reconnaître, la facilité d'adaptation des Polynésiens à leur vie d'insulaires. A la base du " polythéisme " qu'il condamne, il découvre une civilisation qui l'émerveille. En plus de cela, il était sensible à l'histoire et avait le don rare de donner un sens à une masse de détails. Une grande partie des Researches a trait au contact des cultures, à des stades différents, tant aux îles de la Société qu'à Hawaii. Ellis est avide de montrer, sous son meilleur côté, la conversion au christianisme, qu'il observa lui?même ,durant les années 20 du siècle dernier. Serait?il resté davantage dans le Pacifique, peut?être aurait?il perdu ses illusions ? Mais à l'époque où il écrit, les Researches témoignent d'un solide optimisme. Ce ne sont pas cependant des livres bien construits, à tel point que le fils de l'auteur essaye d'en donner une justification en expliquant que son père était constamment en voyage lorsqu'il composa cette œuvre : " bien des passages ont été crayonnés à l'auberge, dans des relais de diligence, parfois à l'ombre d'une haie, voire même dans les champs ". Même si l'œuvre est mal écrite, la valeur de ses sources et le double but que se proposait l'auteur dans ce travail, l'emportent sur sa forme imparfaite. Bien des chapitres sont entièrement autobiographiques. D'autres sont des réflexions sur les laits recueillis par Ellis et ses confrères parmi les indigènes. D'autres chapitres encore sont un mélange des deux. Après deux chapitres tirés de son journal personnel nous décrivant son voyage à Tahiti, Ellis nous présente alors une histoire de la mission. Les deux chapitres suivants décrivent ses impressions d'arrivée à Moorea, ils sont suivis de quatre chapitres historiques sur la mission. Les passages qui apportent le plus de renseignements sur l'ethnologie Polynésienne arrivent après cette introduction historique et auto biographique, avec, à l'occasion, des réflexions et des détails inattendus sur l'imprimerie, le style des maisons, les plantations. La partie la plus intéressante du tome II a trait au travail d'Ellis dans l'archipel des îles Sous?le?Vent, à Huahine, en particulier. Son récit sur le code des lois de Huahine est la description la plus détaillée que nous ayons de celle remarquable innovation. En bref, Ellis contribue bien davantage à nous faire connaître la période de transition que l'Ancient Tahiti lui?même. Dans le passage où il essaie de décrire la société indigène au temps du pré?christianisme, il a surtout dans l'esprit le "Huahine ancien" et ceci ne doit pas être oublié quand on cite Ellis en référence pour des exposés sur les croyances religieuses polynésiennes, les techniques de pêche aussi bien que la tenure foncière ou l'organisation politique. Il y a peu de contributions générales à l'ethnographie polynésienne qui ne doivent beaucoup à l'œuvre désormais classique d'Ellis. Il fit énormément pour le succès de l'idée de mission au début de l'époque victorienne et bien des générations d'ethnographes et d'historiens du Pacifique demeurent très largement ses débiteurs. COLIN W. NEWBURY.

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PREFACE (retour)

Nous possédons aujourd'hui une abondante et précieuse documentation sur les différentes parties du monde. Afin d'accroître encore ces connaissances, le marin a traversé les mers jusque là inconnues et le voyageur a exploré de lointaines ,contrées inhospitalières, tout cela pour augmenter nos connaissances. Sans vouloir déprécier les efforts de la science et les avantages plus approfondis sur l'histoire naturelle de notre planète, le chrétien altruiste porte son attention sur des objets encore plus importants et est amené à s'informer avec un intérêt croissant des conditions morales et spirituelles du genre humain. L'idolâtrie avec ses coutumes sanguinaires et les déchéances morales qui en découlent, est devenue pour lui un souci primordial et toutes ses énergies sont tendues pour soulager la misère des hommes par la propagation de la vraie foi, la seule base solide de la vertu et du bonheur. Soutenu par les paroles de l'Écriture concernant la rénovation morale du monde et encouragé par " les signes des temps ", son espérance d'un succès final est renforcée par les résultats qui déjà récompensent ses efforts. Ces résultats sont, sous différentes formes, sensibles dans quelques parties du monde: chez les aborigènes d'Afrique, victimes de l'esclavage colonial, parmi les millions d'hommes des civilisations chinoises et indiennes parmi les populations des régions inhospitalières de la Sibérie et du Groenland ou les habitants des îles lointaines du Pacifique. L'auteur a passé de nombreuses années dans cette dernière partie du monde, s'efforçant de promouvoir la connaissance du christianisme parmi les indigènes, Tout en poursuivant son apostolat, il n'a pas estimé incompatible avec les devoirs de son ministère de récolter, chaque fois que l'occasion s'en présentait, des renseignements variés sur les archipels et leurs habitants. Bien que géographiquement fort peu étendues et relativement insignifiantes quant à leur population, les îles de la Société et les îles Sandwich ont fait l'objet, dès leur découverte, d'un intérêt très particulier. Les descriptions publiées, relatives à leur curieux charme exotique, l'abord engageant de leurs habitants ont fait naître le désir d'obtenir des renseignements plus approfondis sur la géographie des îles, sur leur histoire ancienne ainsi que sur le caractère moral, intellectuel et physique et les institutions traditionnelles de leurs habitants. Tous leurs anciens usages ayant été complètement abolis par le nouvel ordre de choses qui suivit la disparition de leur vieille culture païenne, bien peu de souvenirs demeuraient dans la mémoire des habitants, cependant que la nouvelle génération grandissait dans une totale ignorance de tout ce qui la distinguait de ses ancêtres. C'est pourquoi il était urgent de récolter une quantité de faits reliés à l'état antérieur des indigènes et d'en fournir, dans la mesure du possible, une narration authentique qui les sauverait de l'oubli, Tel fut le but que l'auteur ne perdit jamais de vue. L'ouvrage que nous présentons mettra en lumière de nombreux faits qui peuvent être considérés comme des illustrations de l'influence du paganisme sur ce peuple. La simplicité des institutions des habitants du Pacifique nous donne des facilités pour étudier la nature et les tendances, toutes choses qui auraient été très difficilement obtenues dans une société plus avancée. Ces volumes contiennent aussi une histoire brève ? mais espérons le, suffisante ? de l'origine, du développement et des résultats des initiatives missionnaires qui, au cours de ces trente dernières années, ont, grâce à la bénédiction divine transformé les habitants barbares, cruels, indolents et idolâtres de Tahiti et des îles voisines en un peuple chrétien relativement civilisé, humain et travailleur. Ils comprennent aussi une documentation sur les mesures prises par les gouvernements indigènes en vue de modifier l'économie sociale du peuple et de régulariser leurs échanges commerciaux avec les étrangers, de promulguer un nouveau code civil dont nous donnerons une traduction, d'établir des tribunaux et d'y instituer des jugements rendus avec le concours de jurés. Outre des renseignements donnés sur ces institutions le présent ouvrage fournit un aperçu du niveau intellectuel du genre de la vie chrétienne et de la conduite générale des convertis. Il nous offre, de plus, les rapports des missionnaires sur les divers aspects de leurs activités en ce qui concerne l'administration et l'organisation de la chrétienté, l'établissement des premières communautés avec leurs règles de discipline, les progrès de l'éducation, l'introduction des arts, l'amélioration de la morale et la marche générale de la civilisation. Pendant les dix années où il fut absent d'Angleterre, l'auteur a pris de nombreuses notes sur ce qui l'avait frappé et a tenu un journal quotidien lors de son séjour dans le Pacifique. C'est d'après ces papiers que le présent ouvrage a été composé en se servant également des documents, imprimés et manuscrits, se trouvant en la possession de la London Missionary Society, documents entièrement placés à la disposition de l'auteur. Celui?ci s'est servi également des importantes communications faites par les missionnaires résidant dans les îles et, en particulier par ses vénérés confrères Messrs Barff, Williams et Orsmond. Il a aussi utilisé les renseignements fournis quotidiennement par les indigènes qui avaient participé aux événements les plus importants de Tahiti, au cours de ces trente dernières années. L'auteur s'est constamment efforcé de rendre ces relations exactes et espère qu'elles seront non seulement intéressantes mais aussi utiles. Il estime devoir s'excuser des défauts qui pourraient paraître dans l'exécution du présent ouvrage. Il a été rédigé au milieu d'incessantes obligations extérieures et certaines parties ont été imprimées pendant son absence, au cours d'un lointain voyage pour la London Missionary Society. L'auteur exprime sa profonde reconnaissance au Rév. joseph Fletcher, A. M., de Londres qui a bien voulu, malgré ses nombreuses et importantes occupations, revoir la plupart des épreuves, et au capitaine R. Elliot, R. N., qui a mis à la disposition de l'auteur des dessins pour l'illustration de l'ouvrage.

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INTRODUCTION (retour)

Après l'Ancient Tahiti et le journal de James Morrison, la présentation en français des Polynesian Researches d'Ellis était une des ambitions de la Société des Océanistes. Ce texte si important se devait d'être entre les mains des étudiants et des chercheurs intéressés par l'histoire du Pacifique et de ses civilisations. Un de nos membres, dont la générosité égale la modestie, à défaut de pouvoir lui-même tenir la plume comme il l'avait lait pour l'œuvre de Teuira Henry, nous permit de mettre en chantier cette traduction d'Ellis. Quatre volumes de plus de 400 pages chacun !... Ce n'était pas là une petite affaire. Divers incidents de parcours vinrent, de plus, retarder Voeuvre entreprise et obliger pratiquement à une révision totale de l'interprétation initiale pour mieux serrer le texte et proposer au lecteur une traduction aussi lisible et aussi exacte que possible. Ellis, avouons?le, ne s'est pas montré un auteur facile à traduire. Disons tout de suite qu'il écrit mal. Son fils, nous l'avons lu dans l'introduction de M. Colin Newbury, l'en excuse en nous expliquant que son père, fort occupé, lut obligé de rédiger rapidement, sans pouvoir travailler son style et sa présentation ; et que, par ailleurs, il était fort loin d'être un homme cultivé. Ajoutons à cela qu'il était à Madagascar lors de la parution du livre et qu'il n'a pu en relire les épreuves. Ellis n'a pas lait ses humanités. Cela se sent à chaque page. Il n'a aucune aisance d'écriture et sait mal présenter ses idées. Déjà pénible à suivre quand il raconte, dès qu'il est sorti du récit des faits et qu'il se lance dans des considérations générales, philosophiques, religieuses ou sociales, le prédicant confus l'emporte sur l'historien et nous ne sommes pas loin du galimatias. A la fin de ses chapitres et dans ses transitions, lorsqu'il tire les conclusions de ce qu'il vient d'exposer et donne libre cours à sa pensée, c'est une cascade de phrases lourdement articulées, avec des kyrielles de sujets, des litanies d'adjectifs et des conjonctions en série qui donnèrent bien de la tablature aux traducteurs. Avant même d'essayer de rendre en français ces textes pesants et impénétrables, ils ont d'abord dû essayer de comprendre ce qu'Ellis voulait dire. Ils ont fait de leur mieux, résistant, notamment devant certaines digressions, à la tentation de déclarer : " On abrège ! " Mais non. Ellis est là, de A à Z, avec tous les excursus linguistiques et les considérations de morphologie géologique. Pour éviter au bienveillant lecteur quelques surprises, voici, au courant de la plume, les partis pris devant différents petits problèmes qui se sont posés aux traducteurs. Nous avons, en principe, conservé les noms géographiques indigènes donnés par Ellis. Procéder autrement eut fait perdre au texte d'Ellis un certain cachet d'authenticité. Ainsi avons nous toujours écrit Eimeo pour Moorea, etc... Saut dans le cas ? il est bien difficile en ces matières d'être parfaitement cohérent ! ? où il s'agissait de noms trop connus et pouvant prêter à la confusion ou faire croire tout simplement à des fautes d'orthographe. Ainsi avons nous écrit Honolulu pour Honoruru, Kamehameha pour Tamehameha. Les protes d'Ellis n'avaient du reste pas une très grande fixité dans leurs propres graphies. On trouve successivement Bora?Bora, Borabora ou Bora bora, avec ou sans tiret. Nous avons en ce cas uniformisé les noms en suivant l'orthographe suivie par les Instructions Nautiques françaises. Pour conserver à Ellis son caractère i83o, nous avons maintenu les noms géographiques courants à son époque dans la littérature anglaise des voyages, même s'ils n'ont pas été conservés par la suite. Ainsi écrirons nous les îles du Roi George (sans " s ", naturellement, comme il convient à un George anglais !) pour désigner Tahiti et Moorea, les îles des Amis ou de l'Amitié pour Tonga, les îles des perles, etc. En ce qui concerne le vocabulaire courant, nous avons gardé district, sabbat et marae, ce dernier vocable devenant vite familier au lecteur et étant fort mal rendu par le mot " temple " qui évoque pour lui un espace clos et couvert, et tout aussi mal par " pavé sacré " qui ne signifie pas grand-chose pour lui. Même remarque pour le mot tabou, et pour tapa que nous avons conservé, voire même substitué au texte, d'Ellis quand il parle de native clothes. Nous avons traduit généralement settlement et encampment par " établissement " ou "station missionnaire ", tribes par " tribu " ou " parti ". La longue fréquentation d'Ellis nous a montré qu'il employait un peu au hasard cérémonies, rites, worship, worshipper, quand il parlait du rituel indigène et de l'ancienne religion des Polynésiens. Par contre' il se sert la plupart du temps du mot image pour des objets que nous avons traduits, selon le contexte, par " images ", " statues ", " figures " ou " représentations des dieux ". Le mot musket a été traduit par " fusil ". Bien qu'Anglais, il ne semble pas qu'Ellis ait eu des conceptions très cohérentes pour la désignation des navires. Il semble employer navire, vessel, brick, ship, boat, embarcation un peu au petit bonheur. Les vocables et les phrases en tahitien ont été imprimés en italique ? ce que les protes d'Ellis n'ont pas toujours fait ou irrégulièrement ? et immédiatement suivis de leur traduction. Nous avons naturellement omis la marque du pluriel dans les mois tahitiens qui n'en comportent pas mais qu'Ellis gratifie volontiers d'un "s": marae, areoi, raatira. Nous avons conservé, sans les convertir en mesures françaises, les mesures et contenances anglaises de l'époque : mille, pieds, pouces, toises, brasses, pintes et gallons, ne faisant d'exception que pour la température, le livre s'adressant à un public français qui sait encore ce que c'est qu'un mille ou un pouce, mais qui se trouve complètement désemparé devant la traduction des degrés Fahrenheit en nos centigrades. Pour ce qui est des noms propres anglais, nous avons traduit London Missionary Society, l'organisme anglais auquel appartenait Ellis, par Société Missionnaire de Londres, mais nous avons conservé l'American. Board of Commissioners for Foreign Mission. Un mot encore. Nous avons traduit Ellis d'après l'édition anglaise en 4 volumes in?16 de 1853, celle même qui fut récemment republiée en édition photostatique par Tuttle Rutland, Vermont. On trouvera ici, nous l'avons dit, la version intégrale. Nous n'avons rien retranché,, ?nous n'avons non plus rien ajouté.. malgré bien des tentations, dont certaines reçurent même un commencement d'exécution. L'attitude des missionnaires devant les Pomaré, par exemple, nous semblait demander des explications, comme leurs vues sur certaines coutumes des Tahitiens, l'infanticide, en particulier. Nous avons vite compris qu'une fois le doigt mis dans l'engrenage, de remarques en observations et de commentaires en mises au point, nous en serions vite arrivé à festonner le texte d'Ellis de tout l'appareil de notes d'une édition critique tout à fait en dehors de nos possibilités et de nos intentions premières. Cet enfant déjà si longtemps attendu, aurait risqué de ne jamais voir le jour ! En terminant ces remarques liminaires, un souvenir reconnaissant à Mmes Marie Sergueiw et Colette de Buyer?Mimeure qui, au long de plusieurs saisons alpines ou parisiennes, sont venues à bout d'une tâche ingrate et sont parvenues à maîtriser les concepts du pénible Ellis en les coulant dans une prose française. Personnellement, la potion avalée, je ne garde pas un trop mauvais souvenir des innombrables heures passées à revoir ces textes en leur compagnie, Webster d'un côté, le petit Robert de l'autre, le dictionnaire tahitien à portée de la main. De paragraphes en paragraphes, de chapitres en chapitres, de volumes en volumes, partis du début de la préface inaugurale nous sommes arrivés à la fin du dernier appendice, pour la plus grande utilité des études océaniennes et le plus grand honneur d'Ellis. Qu'il nous pardonne les impatiences, les mouvements d'humeur et les malédictions dont il lut parfois le sujet et l'objet. PATRICK O'REILLY.

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ILLUSTRATIONS (retour)

Portrait d'Ellis

Le district de Fare, à Huahine frontispice

Autre vue du district de Fare

Intérieur du district de Matavai

Tahiti Tombeau de Pomaré à Papaoa, Tahiti 1.

Fruit de l'arbre à pain 2.

Pirogue de pêche 3.

Pirogue sacrée 4.

Pirogue à dais 5.

Pirogue simple à balancier 6.

Différents types d'herminettes 7.

Battoir à tapa 8.

Oreiller en bois 9.

Siège tahitien 10.

Plat de bois 11.

Tambour tahitien 12.

Conque marine 13.

Vue d'un marae 14.

Autel et offrandes 15

Autel et offrandes 16.

Idoles de Tahiti 17.

Idoles 18.

Alambic tahitien 19.

Hongai, célèbre guerrier néo-zélandais 20.

Drapeau hawaïen 21.

Idole hawaïenne

Lettre autographe de Pomaré Il

Signature de Tamehameha

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