PréfaceIntroduction

  n°18: Mythologie du masque en Nouvelle-Calédonie
  J. Guiart (nlle éd.), Prix: 120 F; 18,29
      Le masque de Nouvelle-Calédonie, sombre et terrifiant, rencontre ici un présentateur qui n'en ignore aucun des secrets. Le lecteur trouvera de ces masques de la Grande-Terre, faits d'une sculpture en bois recouverte de plumes ou de cheveux, en même temps qu'une description détaillée des techniques de fabrication, un commentaire perspicace des mythes concernant leur utilisation et leur rituel. Nombreuses illustrations en noir et en couleur des principaux masques.
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PREFACE (Retour)

Le masque calédonien est un déguisement qui comporte trois parties : une figure, une coiffure, un revêtement de plumes. LA FIGURE. ? Elle est toujours sculptée dans du bois. Mais tandis que la matière constante de la sculpture calédonienne est le bois jaune du houp, tendre au ciseau, dur à l'air, le bois du masque provient généralement de l'arbre doi ou d'autres essences qui n'ont pas le grain et la valeur du houp. La figure, qui apparaît encadrée dans les cheveux et les plumes, est taillée dans une pièce de bois dégrossie, convexe, prolongée en carré au-dessous du visage, en pointe vers la chevelure. Ces prolongements, que le regard ne discerne point, servent d'appui à l'armature des deux autres parties du déguisement, coiffure et robe. Cette figure est très diversement sculptée. Cinq modèles de la collection du Musée de l'Homme s'imposent par la puissance du relief. Front bas, parfois traversé d'un pli (cf. M. H. 09. 19.5, fig. i) , arcades sourcilières très fortes, abritant avec bonheur le globe ovale des yeux, et donnant au neZ la racine nécessaire au développement inattendu qui lui sera donné. Celui?ci, en un bec de perroquet, dont l'arête fine, en l'un des plus grands masques, décrit une belle courbe de 25 centimètres de diamètre, est tout à fait remarquable. Les narines sont apposées sur le côté, l'orifice diversement incliné, bien ouvert. L'artiste a poussé parfois la coquetterie (cf. M.H. og.ig.4, fig. 2) jusqu'à faire communiquer intérieurement ces narines. Le grand relief du visage caractérisé par la valeur du nez est la préoccupation presque unique du sculpteur. En tel masque assez abîmé, aux arcades sourcilières en triangle descendant comme pour appuyer le gros nez, celui-ci, avec ses ailes, absorbe la figure entière (cf. M.H. 09?I4.2,fig. 3)? Mais dans les masques à la sculpture bien balancée, la bouche est en harmonie avec le nez. Entr'ouverte selon une ligne concave et sur une longueur qui fait deviner de puissants masséters, entourée d'une saillie ronde qui marque les lèvres, les commissures arrondies et relevées, ce qui donne aux faciès un certain rictus, elle laisse voir des dents en nombre irrégulier. L'exécution de celles-ci est une oeuvre de patience. Ainsi le grand masque (cf. M.H. 09.19.4, fig. 2) présente deux belles rangées séparées par une ligne irrégulière qui paraît être faite à la scie. Mais si l'on retourne la pièce, l'on aperçoit les rainures que le sculpteur a obtenues avec son outil de coquillage, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à tracer une ligne ajournée. Tout ce qu'on voit de régulier n'est que l'achèvement d'un long travail de frottement et d'usure à l'intérieur. Telle de ces rainures, dans la dépression du bois ouvragé, a jusqu'à 8 centimètres de long. ? Mais l'on n'a pas toujours la même certitude que la technique de l'outil de pierre a été seule employée. Les dents longues, très séparées, arrondies, de la bouche du masque sont d'une facture qui rappelle étrangement l'exécution avec l'outil d'acier. Quant aux dents cassées, lorsqu'elles se trouvent sur le côté, elles ne sont point l'effet d'un accident, mais d'un artifice de l'artiste pour assurer, dans la belle mâchoire, une fenêtre. Car le porteur du masque a ses yeux à la hauteur de la bouche, et celle-ci lui sert de regard. Le menton, dans ces beaux masques, est insignifiant; il est absorbé par la lèvre inférieure de la bouche entr'ouverte. Il donne seulement prétexte à une saillie qui . marque la ligne de l'ovale du visage. Représentation exacte de ce que tracerait un dessinateur qui n'a Pas à se préoccuper des masses cachées à son regard. Le Mélanésien dessine avec son ciseau, plus qu'il ne façonne de ronde-bosse. Mais la ligne en saillie du menton a, dans nos masques, une utilité pratique : elle dissimule la pièce de bois qui se prolonge percée de trous, pour supporter la barbe et le manteau de plumes. Un beau vernis, dont on aperçoit plusieurs couches recouvre ces masques. Le noir de bancoul, obtenu par grillage et écrasement de la noix de bancoulier, est la peinture habituelle des sculptures mélanésiennes. Elle devient mate avec le temps. Un certain brillant noir des beaux masques semble indiquer cependant que les Mélanésiens usaient de quelque résine, à identifier; peut-être la gomme de kaori, dont ils se servaient par ailleurs pour vernir leur poterie. Le blanc provient d'une terre spéciale, et le rouge est un oxyde de fer, tous deux abondants dans les montagnes serpentineuses. Mais il faudrait s'assurer qu'aucun Européen, marin ou condamné, n'ait ajouté un trait de céruse pour orner à sa façon ces masques. Rien n'est déplorable comme les pupilles rondes peintes en blanc sur les pupilles allongées sculptés dans les yeux du masque M.H. 09?19?5 (fig. i). Le même pinceau a eu plus de bonheur avec les yeux en globe du M.H. Og.Ig?4 (fig. 2). Auprès de ces belles masses sculpturales que représentent les masques aux nez puissants, d'autres pièces apparaissent d'un travail infiniment plus grossier, sans imagination, imitation maladroite de la figure humaine. Tel le masque (Cf. M.H. 93.21.I8,fig. 5), qui, parles arcades sourcilières, les yeux, les bajoues, le menton stylisé, appartient à la sculpture classique des faîtages et des talés, ou linteaux calédoniens, mais le nez et la bouche semblent l'ouvrage d'un tiers qui possédait un ciseau d'acier et ne savait pas le manier. La cloison du nez percée descend vers la bouche, l'artiste n'ayant pas su comment la disposer pour faire valoir sa perforation destinée à un bâtonnet. La bouche, aux commissures carrées, n'est qu'une lourde entaille. En d'autres masques analogues, la bouche est entourée de baies rouges d'Abrus precatorius, procédé utilisé dans toute la Mélanésie (cf. M.H. 87?47.7, fig. 6). L'ensemble est laid. Ces masques décèlent chez l'artiste une maladresse surprenante si l'on songe qu'ils proviennent d'un pays où la sculpture est en honneur. LA COIFFURE. ? La figure sculptée est mise en valeur par l'encadrement d'une coiffure monumentale qui dissimule entièrement l'armature de la pièce de bois. Un couvre-nuque, d'abord, complète le masque en dissimulant la tête du porteur. Il est formé de lamelles fines tenues Juxtaposées par des fibres, travail de sparterie délicat qui a l'apparence d'un filet serré ou d'une cotte de mailles, et parfois même, dans sa finesse, d'un tricot. Sa rigidité permet de fixer sur lui les baguettes qui soutiendront le dôme de chevelure. Dans le bas, il est bordé d'une fibre enroulée de cordelette de poil de roussettes. Et cette fibre se prolonge pour former le cercle qui s'appuiera sur les épaules du porteur et soutiendra le manteau de plumes. Le couvre-nuque est ficelé par des trous sur le côté du masque. Et la ligature est dissimulée par de larges tresses de cheveux qui descendent en favoris. Cette sparterie du couvre-nuque est la pièce capitale de la technique d'un beau masque. Car elle se prolonge au-delà de la nuque, et forme au-dessus du front un grand cylindre. Elle s'achève dans le dôme de chevelure dont elle renforce l'armature. La pièce de sparterie du masque (cf. M. H. Og.I9.4, fig. 2) mesure ainsi de la nuque à son extrémité o,4,5 centimètre. Ce cylindre, de hauteur irrégulière, forme chapeau. Des touffes de cheveux qui semblent déborder du chapeau séparent celui-ci du couvre-nuque. Mais il arrive que ce cylindre soit de dimension réduite (fig. 2), ou qu'on lui substitua une large ligature de tresses, ou qu'il soit même supprimé ? Il n'est point cependant de masque complet qui n'en possède un de belle proportion, sur lequel l'on a ajouté des ornements symboliques : ovule, ruban natté, aigrette Un dôme de chevelure surmonte toute cette construction. On aperçoit, à travers les parties abîmées, l'entrecroisement de lianes de salsépareille qui constituent la charpente de cet édifice. Les cheveux sont tantôt en paquets, tantôt tressés, et toujours maintenus par des ficelages dissimulés. ? Vieillard et Déplanche parlent de chevelures figurées par des radicelles noires et brillantes'.

REVÊTEMENT. ? Le bas du masque est dissimulé d'abord par une barbe carrée fixée sous le menton. Elle est formée de tresses de cheveux mêlés de quelques fibres végétales. Au?dessous est attachée la cordelière de poil de roussettes qui borde à l'arrière le couvre?nuque. Elle forme ainsi une manière de large tour de cou, auquel est suspendu un filet aux mailles de o,o5 à o,o8 centimètres, portant sur le côté les ouvertures des bras. Des paquets de deux à quatre plumes sont ficelés, rapprochés, à ce filet qui disparaît complètement sous leur épaisseur. Ces plumes sont presque toujours celles du notou, grand pigeon insulaire à la robe d'un brun sévère (Phoanorina Goliath Gray). Toutefois le plus grand des masques du Musée de l'Homme semble avoir perdu son manteau, auquel il a été suppléé par une collerette de plumes de gallinacé (fig. g). Mais on peut observer que la cordelette du tour de cou est recouverte aussi non de poil de roussettes, mais d'étoffe européenne, tandis que dans la pièce de bois, le travail de percement des trous dénote encore l'absence de l'outil moderne. Il s'agit donc bien d'un masque ancien qui a subi une restauration.

INTERPRÉTATION DES ÉLÉMENTS DU MASQUE La description du masque ne peut donner une représentation complète de cet appareil si l'on ne cherche à comprendre la raison de chacun des matériaux qui le composent. On a noté déjà que la sculpture n'emprunte pas, comme matière, le bois classique des sculptures calédoniennes, le houp. Il est souvent en doi, arbre qui donne des fibres utilisées pour faire du filet, et qui fructifie en baies abondantes recherchées par les notous. Le modelé qui donne les grands nez crochus spécial aux masques anciens du Nord ne se retrouve guère dans la sculpture ornementale calédonienne. L'esthétique appuie moins sur la longueur du nez et sa courbe que sur sa largeur et celle de ses ailes. Le volume de celles?ci arrive à balancer celui de l'appareil nasal. Les ailes suffisent quelquefois à donner sa valeur au nez tout entier. Technique qui procède du bas relief et du dessin : deux narines étalées de chaque côté d'une protubérance et le nez calédonien est manifesté (cf. M.H. 23.2.16, fig. ii). Le nez en saillie des grands masques exige au contraire une technique de rondebosse, or la ronde?bosse caractérise la sculpture du nord de l'île et rattache celle?ci à la Mélanésie du nord et à l'art papou. Détail important quand il s'agira de rechercher l'origine des masques. Mais déjà ces deux caractères de la matière et du modelé, suffisent à distinguer le masque des autres pièces sculptées du pays. Il reste une sculpture en marge de la tradition. Le cylindre qui le coiffe est le tidi, chapeau que Portaient autrefois les notables, et sur lequel se plaçaient des ornements, coquille blanche (cf. M.H. 8o.39.4, fig. 9), élégante aigrette ou de petites breloques de nacre qui représentaient chacune des clans alliés'. Un beau tidi sur un masque est dès lors un indice de haute dignité. Et l'énorme chevelure en dôme est faite des cheveux des deuilleurs. Ces derniers sont les hommes qui ont veillé un parent mort jusqu'à la décomposition complète du cadavre, et ont porté dans la forêt sa dépouille squelettique. Ils ont, depuis ce temps, observé des tabous nombreux, dont celui de leur chevelure, tenue abritée sous un grand turban ovoïde. Ils ne poseront ce monument qu'à la fin du deuil, deux ou trois années plus tard, lors d'un pilou?pilou où cérémoniellement leur chevelure devenue longue sera coupée et conservée. Patiemment accumulées, ces mèches crépues seront mises un jour en valeur sur un dôme de lianes entrelacées, le dôme du masque. Peut?être figurent?elles là comme la trame d'une pensée où morts et vivants se rejoignent. Au bas du visage, l'ordonnance régulière de la barbe n'est pas un caprice d'artiste. Elle reproduit la réalité. Les gens du nord de l'île, de la région précisément d'où sont venus les grands masques, portent de grandes barbes carrées. Elles étaient, jadis, très soignées, tressées, huilées, et conservées dans de petits paniers, qu'on enlevait aux jours de parade dans les pilous. C'est bien cette barbe importante qu'imitent les lourdes tresses nouées fixées sous le menton des masques. Et au?dessous, le long vêlement de plumes a une couleur foncée, que la faune calédonienne ne rend pas obligatoire. Ce caractère sombre, a donc un sens. Effectivement, lorsque les faiseurs de pluie agissent, Ils revêtent des plumes sombres, parce que le noir appelle l'humidité. Dans les paquets magiques, ils mettent des morceaux de filet, car le filet est frère de l'eau. L'eau relève de l'élément féminin, parce que c'est d'elle que naît la vie. Le nolou, dont les plumes sont choisies pour le revêtement du masque, est lui?même un oiseau totem. Est?ce à dire que toutes ces considérations entrent en ligne de compte dans la contexture du manteau de plumes ? Nul Mélanésien ne saurait le dire aujourd'hui, mais le manteau sombre est un vêtement en rapport avec l'eau l'humidité, la vie. Aussi bien d'après la légende, ces manteaux de masque ont pu être faits avec une plante aux feuilles sombres croissant dans les lieux humides'. L'indigène peut être effrayé de la figure étrange que présente le visage; mais l'ensemble du masque, avec ses plumes, sa coiffe, ses cheveux, rencontre en son âme des correspondances auxquelles une simple description extérieure ne pouvait nous faire songer. LE PORT DU MASQUE La façon de porter le masque n'a pas été notée par les premiers observateurs, sans doute parce qu'elle ne présentait aucune particularité. L'intérieur du dôme et du tidi était bourré de palmes de cocotier, et de bourrelet appuyant sur le crâne du porteur tenait l'ensemble suspendu, tandis que le couvre?nuque avec les baguettes de Parmature, le faisait porter sur les épaules. Le tour du cou, les ouvertures pour les bras, contribuaient à le maintenir. Le masque contient encore dans son dôme quelques restes de ce remplissage. M. Sarasin explique que le masque était soutenu par une baguette de bois que le porteur tenait dans la bouche. Il donne, dans son bel atlas, une photographie où la baguette est apparente2. je n'ai pas eu confirmation que ce fût le véritable mode de port du masque. Peut?être s'est-il agi en celle photographie d'un expédient occasionnel pour soulever le masque et maintenir la bouche à la hauteur des yeux. Sarasin cite lui-même Garnier parlant du chant d'un homme masqué'. Nous n'avons point de preuve que le porteur du masque fût condamné au mutisme, comme il adviendrait si le soutien de l'appareil dépendait toujours de la contraction des mâchoires.

L'USAGE DU MASQUE ET LES DROITS QU'IL CONFÈRE Des voyageurs ont vu dans le masque un costume de guerre, un uniforme de messager secret, le revêtement d'un homme nuisible et invulnérable. Nous ne lui connaissons pas d'autre usage, dans les temps modernes, que celui de déguisement dans les fêtes, " Cet horrible objet, écrit l'un des plus anciens et sagaces observateurs de Nouvelle? Calédonie, le père Lambert, ne sort de la fumée de la case que pour servir d'ornement à une fête ". Sarasin a compulsé les auteurs, et ils ont confirmé ce qu'il avait observé lui-même et noté : " L'usage des masques se limite aux fêtes... Patouillet mentionne, en décrivant une fête des morts chez les Ounoua, un homme masqué, venu de l'extrémité de l'esplanade, il marchait à reculons, menaçant avec sa lance une trentaine de danseurs, faisant des farces aux assistants, et les battant avec son bâton. Garnier a vu pendant un pilou chez les Arama un homme masqué, venant du rivage de la mer, reçu par des cris de joie, il dansa devant ses camarades qui accompagnaient son chant avec des hurlements et des mouvements de lances et de massues. Lemire parle d'un sorcier masqué assistant à un pilou. Opigez dit qu'aux pilous le masque sert à l'amusement, et Legrand rapporte qu'un guerrier masqué, placé devant les autres, agite ses armes et donne le rythme aux hommes alignés derrière lui. D'après Leenhardt, le masque apparaît aux danses mimiques. Lambert l'appelle simplement une parure de fête. D'après Brainne, aux grandes danses plusieurs hommes portent des masques, ce qui est probablement exagéré. D'après de Rochas, les hommes masqués jouent le rôle de clowns et provoquent avec leurs mouvements grotesques une grande gaîté. Delaplanche parle d'une pantomime avec des masques grossiers. Lambert parle aussi des masques au pluriel. " Il va sans dire que cet homme mystérieux dont le déguisement effraye les ignorants, et amuse ceux qui savent, jouit de prérogatives. Sa rigidité ambulante inquiète et le classe dans une série hors nature, il est un anonyme étrange, hors du cadre social. Il en use pour rompre avec les conventions, et prendre les libertés que donne l'anonymat enveloppé d'un revêtement prestigieux : il menace, tracasse les groupes de femmes, manie des pierres aphrodisiaques, apeure, amuse, sans qu'aucune des actions qu'il a pu commettre ne lui soit comptée comme une infraction. Ces droits cependant ne sont pas absolus. L'effet du masque sur la foule peut provoquer des réactions hostiles et des inimitiés, tandis que l'appareil met son porteur en état d'injëriorité. Le père Lambert signale son insécurité : " Le porte?masque, dit?il, quand il prend son grand costume si propre à produire l'horripilation chez celui qui le voit pour la première fois, ne serait pas sans courir quelque danger. Aussi brandit?il une espèce d'abraxas pour se préserver. " Mais celte réaction même prouve que le masque Peut être pris au sérieux par le public, et que celui?ci conserve encore des croyances qui l'empêchent de voi . r dans ce déguisement une simple distraction profane. Un récit indigène très simple parlant de l'incident du masque dans un pilou, nous donne l'impression d'une foule de Houaïlou voyant le masque pour la première fois : " Les Boewa dansèrent autrefois une danse d'imitation pour les Misikoeo, lors d'un pilou à Meboeijeu, à Porodiva, pays d'origine d'Aru jemi Kavisoibanu. L'un des danseurs coupa des roseaux verts, les planta au lieu de danse, les lia ensemble pour imiter les ligatures des cannes à sucre. Et les danseurs étaient là à chanter en attendant. Mais Nekoiko, père du vieux Poma, grand?père de Kakuruino Boewa, aperçut les roseaux. Il vint, les cueillit et les emporta en voleur. Celui qui avait placé ces roseaux, le maître, J'apercevant, courut sur lui et le battait. * L'autre de pleurer : * ? Père, hélas! Hélas! père, viens vite! * Mais ils avaient caché ce masque dans la forêt proche du lieu de danse. Personne, à cette époque, ne connaissait et n'avait vu de masques. Ce masque, c'était le vieux Meja, maître de la demeure de Nekoe, homme du clan Boewa aîné, qui l'avait pensé. " Quand celui qui avait le masque en sa possession entendit les pleurs de l'enfant, il enfila le masque, lia à son poignet gauche une grande banderole, ramassa une massue bec de tortue, fit un faisceau de sagaies, tandis que le pleureur, au milieu de la danse, pleurait à s'en trouver mal, car celui qui l'avait battu l'avait rossé à fond. " Alors le porteur de masque accourut, et se tint debout au lieu de danse' menaçant. Foule des danseurs, public, ne reconnaissent plus le nom du chef. Surpris, effrayés, ils fuient à toute allure, ils n'ont jamais vu chose pareille, ils croient qu'il s'agit d'un dieu. " Mais quelques hommes au courant de la chose courent vers eux et les arrêtent : " ? Ne craignez rien. Il ne s'agit pas d'un dieu, mais d'un masque de plumes d'oiseau. " ? Plumes d'oiseau pareilles? disent?ils. Cela nous fait trembler. Nous n'avons jamais rien vu de semblable. " C'est le vieux Meja qui a cherché et trouvé la fabrication du masque, il n'en existait pas auparavant. Il en a pris la technique dans un rêve. Il vit, comme il était couché, un dieu en plumes d'oiseau nommé Gomawé, dieu totem des Nesou et des Boerheavo à Neovin Monéo. Voilà comment Meja fit le masque de plumes d'oiseau que l'on revêt. " (Traduction d'un récit écrit par l'ancien sculpteur de masques Boesoou.) On a compris qu'il s'agit, dans ce récit, d'une représentation théâtrale : un vol de canne à sucre, et l'intervention d'un dieu en faveur de son enfant voleur châtié trop sévèrement; l'intervention d'un être que sa puissance met au?dessus de la justice. Le masque est ici une manifestation de puissance. Mais cette puissance était due à la surprise et à la nouveauté. L'on devine qu'une autre ftis, le masque n'effraiera plus, il deviendra un divertissement. Pour l'instant, le vieux Meja avait rêvé du dieu totem Gomawé, qu'il avait probablement vu chez ses voisins de Néavin, de l'autre côté de la haute montagne qui sépare cette vallée de celle de Houaïlou, Neshakoia, où se déroule la scène. Mais cette image du dieu n'a rien de sacré, puisqu'on crie à la foule apeurée qu'il ne s'agit que de plumes d'oiseau. Le masque joue déjà dans ce théâtre un rôle de deus ex machina. Et cela corrobore entièrement les dires des observateurs : il est un accessoire des fêtes, un déguisement théâtral. Il comporte aussi tous les privilèges et les dangers des déguisements, qui, au milieu du public, exigent de leur porteur autant de tact que d'audace... Maurice Leenhardt

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INTRODUCTION (Retour)

Calédonie sombre et terrifiant, aurait peu attiré l'attention des connaisseurs sans l'intervention de Maurice Leenhardt, qui lui consacra des développements' qui transcendaient largement son apparence matérielle. En particulier, une plaquette peu connue, épuisée aujourd'hui, le N° 6 du Bulletin du Musée d'Ethnographie du Trocadéro, comporte une description détaillée de la technique de construction du masque, sur laquelle il n'y a pas lieu de revenir. Nous la reprenons donc intégralement ici, la considérant comme un modèle du genre. Qu'on y voit là une forme de dédicace à notre maître, en même temps que, par les questions posées, la justification de notre recherche.

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